Depuis la domestication des chevaux, l'homme a créé la nécessité de soins et de protection de leurs sabots. Des semelles en écorces ou en paille en passant par les fers orientaux et les hipposandales romaines, les fers à clous ne sont apparus que vers la fin du IIè siècle après J.-C.
Pas de pieds, pas de cheval...mais « 5 cœurs »
Le cheval, puissant et magnifique animal, a un talon d'Achille : ses pieds !
Soutenu par des jambes d'une finesse extrême supportant un poids pouvant dépasser la tonne, le cheval court sur un doigt dont le sabot est l'ongle. Le pied du cheval correspond aux deux dernières phalanges des doigts de l'homme. Un appui très fragile qui, grâce à un système de pompe interne, est comparé à un cœur vital.
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Tout l'art du maréchal-ferrant est de réparer et d'entretenir ce pied, contrant ainsi l'adage « pas de pieds pas de cheval », mais vérifiant régulièrement que « les 4 cœurs supplémentaires » du cheval fonctionnent bien.
Ferrage cheval, retouche par Paul Rouet - Photo transmise par Francette Beaufils
De tout temps...
On dit que les chevaliers entretenaient et, parfois, ferraient eux-mêmes leurs chevaux.
En 1664, le Sieur de Solleysel, Ecuyer du Roy écrivit Le Parfait Mareschal, qui enseigne à connoistre la beauté, la bonté et les deffauts des chevaux, guide autant de maréchalerie que d'hippiatrique.
Selon les statuts de 1687, les maréchaux-ferrants eurent qualité pour ferrer, panser et médicamenter toutes sortes de bêtes chevalines. Privilège perdu lors de la création en 1761, par Claude Bourgelat d'une école vétérinaire à Lyon, puis d'une autre dans le village d'Alfort en 1765.
Vers 1762, Nicolas de Pérusse des Cars, marquis de Monthoiron (1), envoya à l'école de Lyon le fils d'un maréchal-ferrant de la commune, Guillotin. Devenu « expert-vétérinaire », ce dernier fut responsable de l'important haras que le marquis créa en son château.
Tenir les pieds du cheval pendant le ferrage entraînait souvent une amputation, d'un ou plusieurs doigts, causée par les outils tranchants. Sous l'empire, une remise de peine était accordée aux petits repris de justice désignés pour cette tâche.
Ferrage âne - Photo transmise par M.Meignant
Puis, à la forge, le maréchal devint taillandier, fabriquant tous les outils tranchants pour le travail du bois et de la terre.
Archigny, petit village de la Vienne
En 1772, un inventaire des bœufs et mulets de travail fait sur la paroisse d'Archigny comptabilisait 852 bœufs et 7 mulets. Pas de chevaux. Seuls 2 maréchaux y sont mentionnés.
Au XXe siècle 6 maréchaux-ferrants étaient installés sur la commune, dont 4 dans la campagne et 2 dans le village même. Chacun d'eux entretenait régulièrement environ 40 bœufs et 60 chevaux de labour, une vingtaine d'ânes de bât, les socs de charrues, les galoches et les sabots.
Certains, âgés maintenant, m'ont parlé de leur métier avec passion, d'autres, disparus, ont laissé, en souvenir à leurs enfants, des sons et des odeurs inoubliables.
La forge
Un bâti en briques, communes ou réfractaires, supporte le foyer. Dès le petit matin le maréchal y jette une poignée de brindilles et les flammes, attisées par l'énorme soufflet de cuir activé par la branloire, s'élèvent, étincelantes. Trois pelletées de charbon de forge, houille grasse qui, riche en carbone, ne modifie pas la structure du métal, renforcent le feu. Les lopins chauffent, surveillés par le maréchal, car à chaque température du fer correspond une étape de sa fabrication.
Le travail de forge va commencer. En acier, posée sur un énorme billot de bois, l'enclume pèse de 130 à 160 kilos. Pièce maîtresse, elle se compose d'une table, d'un talon et d'une bigorne, elle-même constituée d'une naissance, d'un corps et d'une pointe. Y sont associés les outils de frappe en fonction de l'avancement de la formation du fer.
travail à la forge de Paul Rouet - photos transmises par Francette Beaufils
Pour façonner un fer, 3 critères sont à respecter : température du métal, positionnement sur l'enclume et rebond du marteau.
Le forgeage d'un antérieur se réalise en 3 chauffes (4 pour un postérieur car un pinçon supplémentaire est à tirer) :
1ère chauffe : le fer est jaune, on tourne la première branche. Le fer devient orange à rouge cerise, on rainure et on étampe. Le fer est devenu bleu, on débouche et on calibre.
2ème chauffe : on tourne la 2ème branche, avec les même étapes de fabrication.
3ème chauffe : on chauffe uniquement la partie centrale du fer, on fabrique une masselotte, et on retourne le fer pour tirer le pinçon. Puis on finit par équilibrer la tournure.
Le ferrage
Avant de ferrer il faut parer, c'est-à-dire limer la corne du sabot. Puis, d'un regard, le maréchal mémorise le pied puis met le fer à la tournure du pied. Au porté à chaud, il vérifie la marque des contre-perçures sur le pied. Enfin, refroidi dans un seau d'eau, le fer peut être posé sur le pied.
Le maréchal broche le fer avec des clous à tête rectangulaire et à lame plate, ayant à leur extrémité le grain d'orge qui permet de les faire ressortir du sabot. Le maréchal doit.absolument brocher dans la ligne blanche du pied, sous peine de blesser les parties molles, d'où l'intérêt du porté à chaud.
Puis c'est la finition, la fabrication des rivets : resserrer la lame du clou et la couper, dégorger sous la lame, la retourner dans la gorge, la mater, puis faire le fil d'argent... et la main, caressant le pourtour du fer sur le pied, ne doit sentir aucune aspérité.
Et la forge rougeoie, et l'enclume résonne, rythmant à elles seules la vie du village.
Rencontres et souvenirs
Georges Deshouillières, né en 1892, était maréchal-charron et tenait sa forge à La Bourioterie (3) aidé de son frère Henri, charron. Il cessa son activité à l'âge de 65 ans.
Son fils, Raymond, aujourd'hui âgé de 85 ans, entra en apprentissage à 14 ans chez son père et partit à 22 ans à Leigné-les-Bois où il épousa... une fille de maréchal. Dans ses yeux dansent encore les flammes du foyer.
Chez mon père on allumait la forge avec les copeaux laissés la veille par mon oncle charron. La forge fonctionnait au charbon. Toute la journée il fallait actionner le soufflet et le marteau à main. A 14 ans c'était lourd et fatigant. J'ai eu un marteau mécanique, mais beaucoup plus tard.
Les bœufs arrivaient dès 6 H le matin. Les agriculteurs qui les menaient avaient quitté la ferme vers 4H30 car, même si à l'époque on passait à travers champs, on venait parfois de loin et les bœufs vont lentement. Dans le travail (4) la sangle risquait de les faire gonfler, ils n'étaient donc pas nourris avant le ferrage. On les ferrait à froid et il fallait bien 2 heures par animal. Pour le labour des terres difficiles on ferrait les deux ongles indépendamment, et faciles on ne ferrait que l'ongle externe. Jamais plus de 5 clous sur le côté externe et la languette retournée sur l'ongle !
Fers à boeufs - collection F.Glain
Les chevaux venaient au fil de la journée. Pour eux, on n'utilisait pas de travail4; on était deux, l'un tenait le pied, l'autre le préparait et posait le fer. Pour ferrer les 4 pieds il fallait environ 1 heure et demie. S'il y avait une blessure par corps étranger, on dégageait la partie atteinte du pied à la rainette , on mettait du permanganate, puis une plaque métallique était posée entre la corne et le fer afin de protéger la blessure des souillures.
On achetait de la tôle de marine chez les brocanteurs pour former les fers à chevaux. Les lopins faisaient environ 30 cm de long , et on les forgeait l'hiver, époque où le manque de clarté gêne pour ferrer. La partie la moins usée des vieux fers à chevaux était réutilisée et travaillée pour forger un fer à âne, beaucoup plus petit.
Il fallait aussi entretenir les socs de charrues et le matériel agricole.
Son regard se fait mélancolique :
J'ai gardé mon tablier, mon enclume, mes outils, et même un vieux fer à bœuf !
Paul Rouet n'est plus de ce monde. Sa fille, Francette, en parle tout empreinte d'émotion.
Papa, né en 1912, fit son apprentissage de forgeron à l'âge de 14 ans chez monsieur Robert à La Puye. A 18 ans, il entra au service de M. Deshouillières à La Bourioterie.
Après son service militaire dans le Train , où il approfondit son métier, il fut embauché chez M. Renaud, maréchal-ferrant au Rochereau.
En 1938, M. Dubois, dont l'arrière grand-père (5) avait construit la forge aux Grandes Fontaines (3) lui offrit du travail. Son patron décéda en 1944, papa se mit alors à son compte à la forge. Il eut un ouvrier jusqu'en 1954, puis assura seul son travail de maréchal-ferrant et forgeron. Chaque agriculteur l'aidait à tenir les pieds de son cheval pendant le ferrage. Les bœufs étaient maintenus dans le travail.
Travail pour le maintien des boeufs - photo transmise par M.Meignant
Je me souviens des journées débutant à 6 heures, de la cour où souvent 6 bœufs attendaient depuis tôt le matin pour être ferrés, des chevaux, principalement d'énormes Percherons et traits Bretons, qui partaient et arrivaient sans cesse. Le soir il fallait forger. Les ébauches de fers, adaptées ensuite à chaque sabot, ne sont arrivées qu'en 1950. Avant cette date on recevait des barres de fer plat à forger entièrement à la forme du pied.
Avant et pendant la guerre papa entretenait les socs de charrues tirées par les boeufs, les faucheuses et les lieuses tirées par les chevaux.
Maman faisait les factures, remises en juin et en décembre.
Michel Meignant est né en 1926. Il habite maintenant Monthoiron et a la nostalgie de sa forge.
J'ai fait mon apprentissage à 14 ans et suis arrivé à Trainebot chez monsieur Baudinière à 18 ans. Un an plus tard j'ai repris sa forge à mon compte pendant 9 ans, puis, marié, j'ai fait construire une maison et une nouvelle forge, toujours à Trainebot.
En 1956 j'ai formé mon frère qui m'a aidé pendant 4 ans. Ensuite je fus seul. J'avais un travail pour les bœufs et un autre pour les chevaux ce qui facilitait le ferrage.
Les agriculteurs amenaient leurs bêtes de Monthoiron, Bonneuil-Matours et Archigny. La journée commençait dès 6 H. J'entretenais aussi 5 étalons des haras de Saintes qui, au moment des saillies, restaient dans une ferme au Loup Pendu.
Pendant la guerre, on coupait en deux des armatures de charrettes et on les étirait pour forger des fers.
Dans le temps, les agriculteurs labouraient de septembre à décembre. Il fallait préparer sans arrêt les socs de charrues, et aussi ferrer. On travaillait de 4 H du matin à 23 H.
Ses mains lissent des plis invisibles de la nappe, sa voix devient un peu rauque :
J'ai conservé mon enclume et mes 2 marteaux, 3 et 5 kg, usés d'un seul côté...
marteaux usés d'un seul coté - collection F.Glain
Apparition des tracteurs, disparition d'un métier
Le premier tracteur d'Archigny, acheté par le syndicat de La Godet, arrive au village aussitôt après guerre. On se le prête. Puis, dès 1970, d'autres éliminent les quelques chevaux restant. Tous les maréchaux se reconvertissent par obligation dans l'entretien des socs, faucheuses, herses, cultivateurs.
Vers 1975, je préparais les panes de socs dans la journée, le soir j'allais chez le charron d'Archigny et on passait la nuit à les souder, raconte M. Meignant.
Mais les gros matériels agricoles se passent de leurs services. Ces maréchaux amoureux de leur métier terminent tous leur carrière en faisant de la ferronnerie ou en réparant des « mobylettes » et des tondeuses. Combien de portails de la région viennent-ils de chez eux ?
Renaissance - un métier en mutation
Puis le cheval refait son apparition pour le loisir et le sport. Le débardage et autres services sont encore balbutiants. De 1988 à 2000 le nombre d'équidés en Poitou-Charentes augmente de 33 %. On en comptabilise 25 000 en 2007, et leur nombre serait croissant7.
On cherche à nouveau des maréchaux-ferrants !
Emmanuel Deshoulières, né en 1976, habite à Usseau. A 22 ans, interrompant une Fac d'histoire, amoureux des chevaux, il prépare un CAP de maréchal-ferrant. Puis il fait une spécialisation en orthopédie équine. Régulièrement, il assiste à des remises à jour de cette option.
Il part dès 6 H pour aller parer ou ferrer chez ses clients. Car si autrefois le cheval allait chez le maréchal, aujourd'hui le maréchal va vers le cheval. Emmanuel, comme tous ses collègues, est itinérant. Il n'habite pas Archigny, mais y a plusieurs clients, propriétaires de chevaux. De nombreux pieds l'attendent – environ 200 équidés à l'année (chevaux, poneys, ânes) - sur un secteur allant d'Angoulême à Fontainebleau. Il travaille avec des vétérinaires équins pour accroître son efficacité.
Dans son petit fourgon, avec lequel il parcourt 60 000 km par an, il transporte son enclume de 55 kg, sa forge au gaz, sa perceuse, sa mortaiseuse, son poste à souder, son trépied, son tablier et tous ses outils de maréchalerie, les mêmes qu'autrefois.
La méthode non plus n'a pas changé. Mais le travail a pu progresser grâce aux méthodes vétérinaires, aux radios du pied, aux nouveaux produits. En effet, les fers, de fabrication industrielle, sont en acier, mais aussi maintenant en aluminium ou en plastique, et, selon les différentes formes, ont une influence sur la locomotion du cheval. En orthopédie, les fers sont à fabriquer en fonction de la pathologie à traiter. On y associe des résines – silicone amortissant, reconstituant de pied, collage de fer -, des plaques protectrices en cuir, en plastique, en aluminium, intercalées entre la corne et le fer.
Mais pour lui pas de travail ni d'aide. Il est seul et doit tenir le pied du cheval, ou le poser sur un trépied, et le travailler en même temps. Il pare, ferre, dégage les abcès, les fourmilières, les sèmes, traite les boiteries... Car qui, mieux qu'un maréchal-ferrant, connaît le pied du cheval ?
Autrefois on ferrait tous les animaux pour les travaux agricoles. Maintenant, nous ferrons, mais de nombreux chevaux de compagnie ne sont que parés. Pour faire un bon parage – préparer le pied qui ne recevra pas de fer - il faut respecter les aplombs du cheval à l'arrêt, en marche, de face, de profil, de derrière, tenir compte de sa morphologie, de sa biomécanique, de sa discipline et de son utilisation par le cavalier. Tous ces éléments nous imposent une démarche intellectuelle qui nous permet d'élaborer le parage, et donc de l'effectuer « au degré voulu ».
Le fait de travailler seul peut entraîner des accidents graves avec les chevaux :
La technique, qui sollicite beaucoup le dos, est de maintenir le pied du cheval entre les cuisses et de le travailler à deux mains. C'est la méthode dite « à l'anglaise ». J'ai déjà été projeté contre des murs ou tapé par des chevaux. Quelques côtes et un doigt cassés, le nez à refaire... me confie Emmanuel en souriant.
Tout en répondant au téléphone – une urgence, une boiterie - il note sur son carnet, déjà noirci d'inscriptions, le prochain rendez-vous, dans 6 semaines pour les interventions régulières. Pas beaucoup de moments libres. Je rappellerai la veille, comme d'habitude, pour fixer l'heure.
Il repart, un autre cheval l'attend. Il rentrera chez lui ce soir vers 19 H, s'occupera de ses propres chevaux. Il faudra aussi commander les fers, les résines, les clous, préparer les factures, modifier les rendez-vous... Régulièrement il allume l'ancienne forge d'Usseau et fait, avec grand succès, des démonstrations de ferrage et de forge.
Emmanuel, dans plusieurs années, quand tu cesseras le travail de maréchal, quel objet conserveras-tu ? Mon enclume ! J'en connais les moindres détails, je sais comment lui parler, je m'en sers pour un tas de choses, je ne pourrai pas l'abandonner !
Et après ?
Il est un peu désespéré : C'est un travail très physique, qui tue son homme et démotive les jeunes. Et malheureusement nous ne sommes que 1500 en France. Trop de charges, trop peu de reconnaissance. Pourtant c'est un métier magnifique !
Je contais à Raymond Deshouillières, « un ancien », la façon de travailler d'Emmanuel. Il m'a regardée en face en me disant le mot de la fin : Moi je ne le ferais pas, à deux ou avec un travail oui, mais pas tout seul. Et puis faire tout ce chemin... Trop dur !!
Le poète et le maréchal
Archigny, 10 mai 1988 : Paul ! C'est quelques temps après que la forge des Grandes Fontaines se soit éteinte que j'avais écrit ce poème : « La forge abandonnée »...
On ne voit plus la cheminée qui fume !
On n'entend plus, le chant de l'enclume
sous les coups cadencés des marteaux,
on ne sent plus l'odeur du fer chaud...
Elles étaient pourtant belles
Toutes ces gerbes d'étincelles
Que faisait le fer incandescent
Sous les marteaux se façonnant...
On n'entend plus le chant du patron,
Ni siffloter les compagnons.
Dans la forge abandonnée
L'enclume est maintenant rouillée,
Sur la chaîne du soufflet
L'araignée a tissé son filet...
Ho oui ! Refermez la porte,
La forge à jamais est morte...
Seuls les murs qui sont encore noirs de fumée
Portent le deuil de la forge abandonnée.
Henri Furgé, poète archinois, ancien forgeron
Poème écrit en 1981 pour Paul Rouet, maréchal aux Grandes-Fontaines
Article Françoise Glain, Le Picton n° 204/novembre-décembre 2010 CHENEVELLES
Notes :
1 Commune voisine d'Archigny. Le marquis de Pérusse des Cars fit venir les Acadiens pour défricher ses terres
2 A.D.V.
3 Lieu-dit d'Archigny
4 Système de contention pour soigner un équidé ou un bovin
5 René Dubois, l'un des deux maréchaux figurant sur l'état de 1772
6 Lieu-dit de La Puye
7 Chiffres fournis par le Comité Régional d'Equitation d'Echiré
Carte des Maréchaux-ferrants
du
14/11/2020
par Michel MARASSE
par Michel MARASSE
Histoire et Patrimoine d' Archigny - 171 articles