Le sol de notre région est riche en minerai de fer. La carte de Christian Richard nous montre que nous n’avons pas affaire à un seul petit gisement et que notre commune ne pouvait pas échapper à l’exploitation de ce minerai.
Si les sites de notre commune furent exploités à la préhistoire, nous n’en avons pas de traces. Les ferriers datés par Christian Richard dans Contribution à l’étude de l’occupation antique du Haut-Poitou méridional sont pour la majorité de l’époque gallo-romaine et nous les détaillerons plus loin.
Dès cette période notre région extrait, transforme et commercialise le fer.
Pendant tout le Moyen Âge l’industrie du fer n’a cessé de prospérer en Poitou et du XIe au XIIIe siècle le fer et l’acier poitevins s’exportaient dans tout le royaume, voire au-delà. A Poitiers, la fabrication des armures avait grande renommée. Le déclin de la métallurgie dans le Poitou se fit à l’émergence des productions périgourdines et angoumoises. Puis, les forêts pratiquement détruites par la fabrication du charbon de bois furent réglementées par ordonnances royales interdisant de nouvelles ferrières.
Les vestiges des ateliers d’Archigny sont des scories et des fragments de tegulae prouvant une construction ; il en apparaît encore en surface lors des labours.
L’extraction du minerai a troué de nombreuses mares forestières. Sur le Pinail, en forêt de Moulière, les nombreuses mares rondes sont dues, elles, à l’extraction de la pierre meulière, appelée autrefois pierre moulière puisque servant à moudre. Les fosses à minerai sont maintenant souvent inondées et forment donc des mares, peu profondes en général, le minerai se trouvant à une profondeur de 1 à 2 mètres. Selon le terrain qui les compose ces fosses peuvent être asséchées toute l’année. Elles sont souvent jonchées de scories de différentes grosseurs.
Le four, construit en argile, devait être alimenté pour porter le minerai concassé, empilé en couches alternées, à une température de 700 à 1 200 degrés. Les charbonniers, qui avaient élu domicile au cœur même de la forêt, abattaient les arbres qui, entassés, recouverts de terre et carbonisés à 300 ou 400 degrés, se transformaient en charbon de bois. La plupart du temps indépendants, ils vendaient leur production au maître de forge. Notre forêt, importante et étendue depuis la préhistoire, a disparu au XVIe siècle en grande partie à cause de la fabrication du charbon de bois.
Les ferriers n’étaient pas obligatoirement l’emplacement de la forge mais les tegulae associées aux scories de nos ferriers archignois pourraient prouver l’existence de forges à bras ou volantes, installées sur les lieux mêmes du gisement de minerai. Deux soufflets de cuir activaient le feu. À la forge, deux métiers se complétaient : le fondeur tirait le métal du minerai et le forgeron transformait la loupe de fer produite par le fondeur. Il fallait une dizaine d’heures pour tirer une loupe incandescente de la grosseur d’un poing.
La loupe, ou loup, de fer est un noyau de métal fondu, une masse de fer malléable, battue ensuite avec des marteaux pour la débarrasser des scories et des impuretés de charbon de bois. Le mot loupe, ou loup, n’a aucune correspondance avec l’animal, mais vient, étymologiquement du francique luppa (morceau) et du radical lopp (informe). On le retrouve dans plusieurs dénominations de notre région.
On distingue les scories de réduction de minerai, de forme plutôt aplatie, chargées en bulles gazeuses et présentant des coulées, et les scories de forge, de forme patatoïde et dépourvues de bulles gazeuses et de coulées. Ces dernières, très denses, résultaient d’une reconstruction, dans le fourneau de forge, de parcelles de métal avec le surcroît d’oxygène apporté par le soufflet.
Débris de tégula
Minerai détaché d’une grande plaque de gisement. Le plus grand morceau mesure 22 x 11 x 3 cm et son poids est de 1 kg 583
Scorie de réduction de minerai. Les dimensions de celle présentée sont 22 x 15 x 4 cm, le poids est de 1 kg 573
Scories de forge. La plus grosse mesure environ 7 cm d’épaisseur et 20 cm de diamètre pour un poids de 5 kg 400.
Eléments récoltés à la Fosse-au-Loup en forêt de Moulière Coll. Dominique Antigny
Les ferriers d’Archigny
Il est important de noter que tous ces lieux d’extraction de minerai présentent encore aujourd’hui, au retournement de la terre, des scories de réduction et des tegulae. Confirmation nous en a été faite par les agriculteurs dont certaines parcelles présentent ce type d’exploitation..
Les recensements et datations faits par Christian Richard sont les suivants :
D’autres ferriers ont été oubliés dans ce recensement et se trouvent sur les lieux suivants :
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lieu-dit la Forge où le propriétaire trouve régulièrement des scories et des tegulae dans un champ nommé le champ aux Giraux. Nous retrouvons ce patronyme dans la charte de 1309 du cartulaire de Poitiers où il est question de pierres grises, certainement des scories : Item I quartau de noiz et XII deniers en la nogere dessouz la meson au Giraus en la terre que l'en appele le champ de Pere grisse. Nous n’avons pas de datation concernant ce ferrier mais le nombre de fragments de tegulae pourrait le placer en époque Gallo-Romaine.
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Dans un champ cultivé, à proximité du lieu-dit les Flammes, proche du château d’eau donc peu éloigné du Tré-Paysant (Fond-de-l’Étang). Le ferrier présente une étendue importante de terre rouge bordée de terre plus noire dans laquelle on trouve les deux sortes de scories et des tegulae. Dans la charte de 1309 du Grand Gauthier, nous trouvons la citation d’une fossa lorp qui pourrait correspondre à ce ferrier, en fonction de la situation à l’énumération des terres : … in paragium herbergamentum suum de Brolio, una cum triliis et omnibus aliis pertinenciis dicti herbergament et torram suam sitam apud fossam Lorp et terram suam sitam apud tuscam dicto la Saynera, et quartam partem nemoris do Poysant…
Puis, un petit bois situé à proximité de l’abbaye de l’Étoile a pour nom la Minière laissant deviner une activité liée au minerai de fer.
D’autres dénominations sur la commune limitrophe de La Puye évoquent l’industrie du fer : la Fonderie et la Bombarderie.
Nous retrouvons l’indication de « loupe » dans :
- le Loup-Pendu, situé sur la commune de La Puye, en limite d’Archigny, lieu où, au cours d’un défrichement de brande, furent trouvées, sur une superficie de 5 hectares, des scories de fer et 4 grandes pinces de forge (Ernest Martin, Les exilés acadiens en France au XVIIIe siècle, p. 161) ;
- la Fosse au Loup, située en forêt de Moulière, lieu recouvert de nombreuses scories de réduction et de forge, présentant un environnement de terre rouge et une mare non asséchée. On y trouve encore des plaques de minerai ;
- … fossa lorp (fosse au loup) mentionnée dans la charte de 1309 du cartulaire de Poitiers. Il est à noter l’utilisation du terme lorp (loupe de forge) et non lupus (le loup canidé).
Scories de forge, lieu champ cultivé près les Flammes, Archigny.
L’une des scories de forge, débarrassée de sa rouille par endroits, laisse apparaître le métal brillant. Près les Flammes, Archigny.
Scories de réduction de minerai présentant des bulles et des coulées. Près les Flammes, Archigny.
Fragment de tegula. Près les Flammes, Archigny.
Coll. Dominique Antigny
La carte ci-dessous présente les zones (hachurées) de ferriers sur un secteur englobant Poitiers, Civray, Montmorillon, Chauvigny, donc Archigny.
Françoise Glain – 10/05/2014