Accueil

Journal
Trois femmes médecins durant la Grande Guerre
du 13/11/2020
 Histoire et Patrimoine d' Archigny - 171 articles  

Histoire

La société du début du vingtième siècle est une société d'hommes. La place de la femme est quasi-nulle et son statut n'est pas reconnu. Son rôle se limite depuis toujours à une place subalterne. Le déclenchement et la dureté de la Première Guerre mondiale vont faire évoluer les mentalités. Ce conflit a un lourd bilan de 10 millions de morts et 8 millions d'invalides. En France, c'est 1,45 million de morts et 1,9 million d'invalides et surtout 30 % de la population active masculine qui est touchée. Dès le début du conflit, le 1er août 1914, le manque d'hommes se fait ressentir. La moisson doit se faire, mais les hommes sont soit sur le front, soit dans les casernes : il faut donc les remplacer ! La femme, pour vivre le plus correctement possible et pour permettre d'alimenter le front, va adapter son mode de vie à la situation.

Le rôle des femmes va évoluer durant tout le conflit et elles vont ainsi nourrir les hommes au front en travaillant dans les fermes et aussi armer le pays en remplaçant la main d’œuvre dans les usines. Certaines iront au front, beaucoup resteront à l'arrière. Certaines sont connues, d'autres moins.

Nous allons, ci-après, faire le portrait de trois de ces femmes qui ont participé à leur manière au conflit. La première, Anne de Rochechouart, avec son financement des autochirs, puis dans un deuxième portrait nous rencontrerons Nicole Girard-Mangin qui s'engagea pour aller au front. Enfin nous verrons le rôle tenu par Marie Curie durant cette guerre, rôle qui permit de faire avancer la médecine.

Trois femmes qui ont fait évoluer le statut de la femme en jouant un rôle dans le conflit.

Anne de Rochechouart de Mortemart

Marie Adrienne Anne Victurnienne Clémentine de Rochechouart de Mortemart est née à Paris le 10 février 1847. Après une enfance difficile où l'on pensa qu'elle ne vivrait pas longtemps, elle devint duchesse par son mariage à Paris le 10 mai 1867 avec Emmanuel de Crussol d'Uzès (1840-1878) et avec qui elle eut quatre enfants. Veuve en 1878, Orléaniste, elle finança les activités politiques du général Boulanger en espérant qu'il aiderait à rétablir la monarchie.

La duchesse d'Uzès fut, avec Camille du Gast, une des pionnières de l'automobilisme féminin. Elle fut à l'origine de la création de l'Automobile-Club féminin en 1926 et fut aussi réputée pour avoir fait l'objet de la première verbalisation pour excès de vitesse… à 15 km/h !

Pendant la Première Guerre mondiale, Maurice Marcille, chirurgien convaincu de la nécessité de soigner au plus vite, obtint d'elle qu'elle présidât l'association Formations chirurgicales Franco-Russes ayant pour but la création d'un centre de soins mobiles. (1)

Anne de Rochechouart fut faite chevalier, puis officier de la Légion d'honneur, et reçut une mention honorable au Salon des artistes français. Elle était, nous l’avons vu, présidente-fondatrice de l'automobile-club féminin, et également présidente de l’œuvre dite des Bons-enfants, protection des veuves et orphelins de la guerre de 14-18.

D'un point de vue politique, parallèlement au financement de la campagne du général Boulanger, elle soutint le Fédération nationale des Jaunes de France, syndicat antisémite qui s'opposait aux socialistes, était hostile à la grève et promouvait la collaboration entre les classes sociales. Elle s'intéressa à la sculpture et eut une carrière d’écrivain.

Elle mourut au Château de Dampierre, à Dampierre-en-Yvelines, le 3 février 1933.

(1)   https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne_de_Rochechouart_de_Mortemart

Les autochirs, financées par Anne de Rochechouart

Les ambulances chirurgicales automobiles, ACA, aussi appelées autochirs ou auto-chirs, étaient des hôpitaux chirurgicaux mobiles français destinés à opérer les blessés au plus près du champ de bataille. Elles ont fonctionné durant tout le conflit et comportaient chacune plusieurs camions. L'ensemble se montait en trois heures et permit d'établir jusqu'à 14 salles d'opération à Verdun. Elles étaient aussi appelées « Formation Marcille » ou « Formation Gosset-Dumont ». C'était une ambulance sur châssis Schneider, comprenant trois compartiments :

Une première version est mise en place par Maurice Marcille et financée par la Duchesse d'Uzès et le prince Orloff. Du 14 au 27 novembre 1914, 70 blessés sont opérés ; l'expérience est réussie mais arrêtée officiellement suite à des résultats désastreux, officieusement les relations étant mauvaises entre Marcille, qui a un caractère particulier, et les autorités militaires.

Le 18 février 1915, la société de chirurgie des hôpitaux de Paris recommande pourtant la généralisation et l'utilisation des formations Marcille. Mais c'est Antonin Godin qui eut la charge, à la place de Marcille, de la forme définitive des autochirs. Il adressa son rapport définitif au ministre de la guerre le 10 mars 1915, et, en juillet de la même année, neuf autochirs œuvraient sur le front. À partir de décembre, chaque division fut épaulée d'un « Groupe de stérilisation et d'opération ».

Constitution d'une autochir

L'autochir A1 était composée de cinq camions Berliet type CBA de 3,5 t, deux camionnettes de 1,5 t et quatre véhicules sanitaires Renault. Trois camions étaient équipés du matériel technique.

Le premier, le camion de stérilisation, contenait aussi les radiateurs de chauffage central et les paniers de chirurgie.

Le deuxième camion était équipé du matériel de radiologie.

Le troisième contenait les panneaux démontables d'une salle d'opération, la pharmacie et le groupe électrogène.

Les deux derniers portaient la literie et les deux camionnettes véhiculaient le personnel et le matériel administratif.

Les quatre véhicules sanitaires transportaient les infirmiers et servaient à l'évacuation des blessés. Une fois monté, le pavillon opératoire mesurait 15 m sur 5 m ; il était constitué de panneaux interchangeables et d’une toiture en toile verte imperméable. Deux salles d'opérations et une alvéole de nettoyage-préparation composaient le pavillon. Les deux camions de stérilisation et radiologie y étaient reliés par un couloir. L'ensemble se montait en trois heures.

Par la suite s'ajouteront diverses tentes et baraques. Une ambulance « nourricière » était accolée à une ACA ; son rôle était de soulager l'autochir en la dispensant des tâches administratives. Après l'opération, la nourricière récupérait le blessé pendant quelques jours de façon que l'équipe chirurgicale puisse le revoir et conseiller utilement l'équipe médicale de la nourricière. Dans la pratique, une ambulance se retrouvait affectée comme nourricière d'une ACA pour une période plus ou moins longue et le tandem se déplaçait alors conjointement.

En 1916, le personnel de l'autochir était généralement composé de neuf médecins, un pharmacien, un officier administratif et 25 infirmiers. En 1917, ces équipes étaient renforcées par un laboratoire de bactériologie chirurgicale et d’équipes plus spécialisées. Des infirmières remplaçaient les infirmiers envoyés auprès des unités combattantes.

À partir de 1917, l'autochir dite « légère » se composait de :

Le personnel se composait alors d’un médecin-chef, d’un chirurgien, d’un bactériologue, d’un pharmacien, d’un officier d'administration, de quatre infirmières et d’une quarantaine d'infirmiers hospitaliers. L'autochir était accolée à un HOE ou hôpital d'origine d'étape, qui désignait une structure d'évacuation, mobile en théorie, en dur ou pas, de taille très variable.

Avec l'autochir, le chirurgien avait la possibilité de surveiller lui-même les opérés après l'intervention. En principe, les blessés passaient par une tente de triage, puis dans une tente de préparation pour être opérés directement. Le rendement était accru par une salle d'opération à deux tables : une équipe préparait le geste opératoire sur le blessé arrivant, pendant qu'une autre opérait un blessé déjà préparé. Les équipes avaient un entraînement différent, certaines étaient spécialisées.(2)

(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Ambulance_chirurgicale_automobile

Nicole Girard-Mangin

Nicole Mangin est née à Paris le 11 octobre 1878. À 18 ans elle débute des études de médecine à Paris. En 1899, elle épouse André Girard avec qui elle aura un fils, Étienne. Mais elle divorce en 1903, revient à la médecine et présente sa thèse sur les poisons cancéreux en 1906. En 1910, elle représente la France, avec Albert Robin, au congrès international de Vienne et intègre en 1914 son dispensaire antituberculeux de Beaujon. Lorsque la guerre éclate, elle se porte volontaire sous le nom de Girard-Mangin. L'administration ne se doutant pas que c'est une femme, l’affecte, sous le nom de Gérard Mangin, au 20e régiment de marche de l'hôpital thermal de Bourbonne-les-Bains, au soin des typhiques du secteur de Verdun. Lorsque l'ordre d'évacuation est donné, elle ne peut se refuser à abandonner neuf blessés qu'elle a en charge. Puis elle prend la tête d'un convoi afin d'évacuer cinq soldats nécessitant une hospitalisation, ceci malgré les obus et ses blessures.

En décembre 1916, elle est nommée médecin-major et est affectée à Paris où lui est confiée la direction de l'hôpital Cavell. Après la guerre, elle s'investit au sein de la Croix-Rouge et donne des conférences sur le rôle des femmes durant la Grande Guerre. Le 6 juin 1919, alors qu'elle prépare une tournée internationale, elle est retrouvée morte d'une overdose médicamenteuse, peut être victime de surmenage. Son biographe, le docteur Jean-Jacques Schneider, déclare, au sujet de la mort de Girard-Mangin : « Nicole se savait atteinte d'un cancer incurable. Après avoir assisté tant et tant de mourants pendant la Grande Guerre, elle aurait préféré, en médecin, abréger ses souffrance.(3)  Enterrée au cimetière du Père-Lachaise, jamais elle ne reçut ni citation, ni décoration.(4)

(3) https://citoyennes.pressbooks.com/chapter/nicole-girard-mangin-france/

(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicole_Girard-Mangin

Marie Curie

Maria Salomea Sklodowska ou Marie Curie est née le 7 novembre 1867 à Varsovie en Pologne. Son père est professeur de mathématiques et physique, sa mère est directrice d'un pensionnat pour jeunes filles. Elle reçoit une excellente éducation, mais sa jeunesse est marquée par la perte de sa sœur, Zofia, en 1876 et deux ans plus tard par celle de sa mère. En 1883, elle obtient son diplôme de fin d'étude secondaire et s'inscrit à l'Université Volante de Varsovie. Gouvernante pendant trois ans, elle revient à Varsovie, devient institutrice pour familles fortunées et fréquente les laboratoires à l'Université Volante.

En 1891, elle vient s'installer chez sa sœur à Paris et s'inscrit pour des études de physique à la faculté des Sciences. Elle sort première pour sa licence ès sciences physiques en 1893 et seconde pour sa licence ès mathématiques en 1894. La même année elle rencontre Pierre Curie afin de mener une étude sur les propriétés magnétiques des métaux. Ils se marient en juillet 1895 et auront deux filles, Irène en 1897 et Ève en décembre 1904.

En août 1896, Marie Curie devient première à l'agrégation et décide de consacrer sa thèse à l'étude des rayonnements émis par l'uranium. Le 18 juillet 1898 Pierre et Marie découvrent le polonium, puis le 26 décembre 1898, pensent découvrir le radium. En 1902, ils obtiennent un décigramme de radium pur.

En 1900, Marie Curie devient la première femme professeur à l'École normale supérieure des Jeunes Filles de Sévres. En 1903, elle soutient sa thèse de doctorat : recherches sur les substances radioactives, obtient la mention très honorable et devient la première femme Docteur ès sciences. Cette même année, Pierre et Marie Curie obtiennent la Médaille Davy et le prix Nobel de physique pour moitié.

Le 19 avril 1906, Pierre Curie meurt, victime d’un accident.

Dès le début de la Grande Guerre, Marie Curie se mobilise. Elle constate que très peu d’hôpitaux disposent d'appareil à rayons X qui permettent de repérer fractures et balles sur le corps humain. Elle sait que les machines à rayons X peuvent être utiles sur le champ de bataille. Marie Curie va alors effectuer un recensement des appareils disponibles et se former aux rudiments de l'examen radiologique avec le professeur Béclère.

Avec le soutien de l'Union des Femmes, elle obtient, le 12 août 1914, l'ordre de faire les inventaires du matériel radiologique disponible et de monter des unités radiologiques pour le service de santé ; sa première action est de réaliser des installations radiologiques avec le matériel laissé vacant dans les laboratoires. Leur fonctionnement est assuré par des bénévoles, professeurs et ingénieurs, formés par Marie Curie.

Août 1914 : attestation du ministère de la Guerre pour mettre en place une équipe de manipulateurs en radiologie. Cent cinquante élèves sont formés. Elle devient directrice du service de radiologie de la Croix-Rouge.

Marie Curie va elle-même, avec sa fille Irène, sur les zones de combat. Ainsi, dans L’Écho National, le professeur Reynès déclare qu'il ne faut pas oublier la part importante prise par madame Curie dans les premières applications des rayons (5). Alors que cet examen paraît tout à fait banal aujourd'hui, dans le début de la guerre, malgré l'insuffisance de moyens médicaux, il fallait apporter le maximum de secours aux blessés et la radiologie allait y contribuer.

Marie Curie récolte des subventions qui lui permettent de mettre le matériel à rayon X au service de l’avant.

Devant la pénurie de matériel et de personnel, la dispersion des formations sanitaires auxiliaires, et pour ne pas déplacer les blessés, elle va mettre en place la première voiture radiologique. Celle-ci équipée d'un appareil Rontgen et fonctionnant grâce à une dynamo actionnée par le moteur de la voiture est un succès. Son utilisation est essentielle durant la bataille de la Marne. Avec le soutien de l'Union des Femmes de France, elle crée plusieurs unités radiologiques mobiles en équipant des véhicules (grâce à des fonds américains (6). On nomme ces voitures les Petites Curies. Elles abritent une dynamo 110 volts/15 ampères, un appareil à rayons X Drault, le matériel photographique nécessaire, des rideaux, quelques écrans très rudimentaires et plusieurs paires de gants pour protéger les mains des manipulateurs. Le fonctionnement de l'appareil est assuré par le moteur du véhicule. Dans chaque Petite Curie se trouvent trois civils non mobilisés, un chauffeur, un médecin et un manipulateur. Les trajets sont difficiles et longs dans ce type de véhicule roulant à 50 km/h.

(5) Marie Aude Bonniel lefigaro.fr 29/10/2014

(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Petites_Curies

 

Ces services vont prendre un essor considérable, la radiologie jouant un rôle essentiel dans le diagnostic.(7)

En 1916, Marie Curie obtient son permis de conduire.

Devant la pénurie de personnel, elle propose de mettre en place une école de manipulatrice à l'Institut du radium. Ainsi, sont formées 150 aides radiologistes par Marie Curie et sa fille Iréne.(8)  Le programme comprend des leçons théoriques sur l'électricité et les rayons X, des exercices pratiques, de l'anatomie, sur une durée de six mois. La formation est surtout destinée aux infirmières, mais cet enseignement est aussi ouvert à des jeunes femmes n’ayant pas cette qualification.(9)

Pour cela, elle bénéficie du soutien financier de l'Union des Femmes de France et du Patronage national des Blessés, ainsi que des Américains. En effet, cette technologie à la pointe du progrès et la mise en application des techniques modernes de Marie Curie sont très bien accueillies par l'opinion publique américaine.

Marie Curie a pleinement contribué à la survie de milliers de blessés, grâce à 200 postes fixes et 20 voitures radiologiques mais aussi par la formation de 150 manipulatrices.

Les comptes rendus de l'Académie de médecine permettent de voir l'avancée de ce procédé durant le conflit : En sorte que sur le champ de bataille, au moment même où le blessé est ramené de la ligne de feu, on peut se rendre compte instantanément des soins que réclame son cas, de l'utilité du transport ou, au contraire, du pansement sur place. Beaucoup de complications seront ainsi évitées et beaucoup de vies sauvées.(10)

 

(7) Marie Curie, la radiologie et la guerre, http://buclermont.hypotheses.org, B CU Clermont, BCU 1914-1918

(8) Marie Curie et son engagement pendant la Grande Guerre, Maxime Leroux, https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01416186/document, 2016.

(9)  , http://tperadiograhie.e-monsite.com/pages/approche-historique/developpement-de-la-radiographie-a-usage-medical-pendant-la-guerre-de-14-18.htmlTPE: En quoi la radiographie a-t-elle marqué les sciences et comment ces avancées ont-elles traversé le temps?

(10)  Marie Aude Bonniel lefigaro.fr 29/10/2014

 

Trois femmes exceptionnelles qui pour nous ont marqué l'histoire de la France dans une période des plus difficiles. Mais à l'époque, leur notoriété est moindre. Certes, Marie Curie connaît une renommée mondiale, mais surtout pour son travail en sciences physiques. Anne de Rochechouard doit sa notoriété à son statut et son activité politique, et les actions militaires de Nicole Girard-Mangin ne sont pas reconnues par les hautes autorités militaires.

En ce début du XXe siècle, l'action des femmes et les mentalités ont commencé à évoluer, mais cela n'était qu'un début.

 

Thierry Lenfant

16/03/2018

 

 

 

 

Retour au journal - Retour à la page d'accueil