Qui n’a pas entendu parler des fées peuplant rivières et ruisseaux, toujours penchées sur les berceaux, surtout d’ailleurs sur celui des princesses ? Pour les autres, comme le disait le grand philosophe et dessinateur Geluk, c’était parfois pour vomir dedans… mais rêvons !
Au bord de notre Ozon, elles ont, de coups de baguettes (de coudrier forcément), fait jaillir l’eau du sol, créant en abondance un chapelet de belles fontaines si précieuses pour l’homme. La Bouffonnerie, la Font-de-l’Ètang, Boutigny, le Peu, la Debalière - pour les gens du cru : la Dbalère, les Grandes-Fontaines et bien d’autres… autant de miracles qui, depuis la nuit des temps, de Néanderthal à l’Homo Sapiens, mais Horibilis d’aujourd’hui, ont permis à l’homme de s’abreuver et de vivre.
Nombre de villages sont apparus autour de ces points d’eau. Mais parfois, les humains ont pris leur distance, préférant bâtir à quelques centaines de mètres des fontaines : Jolines, La Godet, Vilaine, la Canterie, la Haute-Limouzinière… Comment expliquer ce choix loin des ruisseaux et des sources si précieux ?
C’était sans doute par précaution ou par sécurité. Il faut en effet savoir que les fontaines et les fosses étaient, et sont sûrement encore, habitées par la mère Lapiarde. À une époque où les enfants étaient libres, tous savaient qu’il ne fallait pas s’approcher des fontaines parce qu’il y avait la mère Lapiarde. Ceux qui l’avaient vue avaient perdu la vie, donc personne ne savait qui elle était vraiment ni à quoi elle ressemblait. Cet être qui ne pouvait être que maléfique et qui faisait peur était en plus féministe puisque personne n’avait entendu parler du père Lapiarde !
Du côté du village actuel des Grandes-Fontaines, on comprend bien qu’il n’y avait pas eu un coup de baguette magique. La fée locale avait dû, par inadvertance, laisser traîner sa baguette en passant, créant une multitude de petites sources entre les routes actuelles de la Canterie et de Bellefonds. Pas d’abondance, pas de grande fontaine, seulement quelques filets d’eau !
Des touffes de roseaux dans le fossé de la route actuelle d’Archigny à Chauvigny indiquent les filets d’eau sourdant de la colline.
Il a fallu attendre le XIXe siècle pour qu’un forgeron ose venir y construire son atelier et sa maison.
Pourtant, sans doute dès le Moyen Âge, une construction de pierre sèche abritant un petit puits formant réserve a été aménagée : la fontaine des Grandes-Fontaines. On sait que les forgerons sont un peu sorcier, mais celui-là n’était pas téméraire et, mère Lapiarde oblige, il avait construit sa demeure à 200 m. Quasi quotidiennement il fallait donc faire la navette pour s’approvisionner en eau. Cette eau y est particulièrement pure mais aussi très froide et totalement déconseillée par temps de canicule. Il est vrai que, de retour à la forge ou à la Canterie, elle avait largement eu le temps de se réchauffer et pouvait sans risque être consommée.
L’Homo Sapiens Horibilis n’a pas que des défauts. C’est ainsi que, dans les années 1962-1963, il a installé, même dans les campagnes, un service d’eau. Fini les corvées de puisage. Il suffisait de tourner un robinet ! L’économie de fatigue a fait oublier le goût de ferraille ou de chlore du breuvage. Les fées ayant depuis bien longtemps déserté notre pays, seuls quelques écoliers assoiffés ont encore rendu visite à la petite fontaine. Les broussailles ont envahi les lieux, les racines et les feuilles mortes ont entamé un lent mais inexorable processus d’étouffement de la fontaine, bouchant et recouvrant petit à petit la construction que nos ancêtres avaient astucieusement érigée.
État de la fontaine et du ruisseau d’écoulement en septembre 2019. Il fallait savoir que la fontaine était là !
Finie la fontaine des Grandes-Fontaines ? Que nenni ! C’était en effet oublier que certaines associations particulièrement dynamiques possèdent en leur sein des individus un peu fous capables de faire un travail de titan simplement pour le plaisir de remettre à jour un lieu qui fut longtemps très précieux pour nos aïeux. Imagine-t-on en effet que par de grandes sécheresses, alors que les citernes étaient vides et qu’il n’y avait plus que très peu d’eau à la fontaine de la « Dbalère », on venait de la Godet y chercher l’eau pour boire ? Imagine-t-on que le lavoir situé à quelques mètres en contrebas attirait les lavandières depuis la Gorlière située à 2 km et qu’elles devaient avoir grand soif à leur arrivée mais aussi après avoir lavé leur brouettée de draps ?
Des fées à gros bras se sont penchées sur la fontaine moribonde.
Bref ! Nos courageux HP- istes, munis de l’autorisation du propriétaire, de serpes, de cisailles, de pelles, de pioches et de courage, se sont mis à l’ouvrage.
Il a en effet fallu couper ronces, épines et orties pour approcher.
Hache-pioche d’Alain Fosse, ancien lavoir, en contrebas de la fontaine, Un mince filet d’eau atteignait le lavoir
Alain avait apporté une pioche-hache, héritée de son père et prévue pour un homme fort. De 4 kg, elle fut d’une efficacité remarquable pour tailler les racines, creuser le sol et crever son bonhomme. Il suffisait pourtant de la lever et de l’accompagner en l’abaissant…
Première tranche de piochage dans le canal d’écoulement La fontaine est peu à peu dégagée
Si le ruisseau d’écoulement était bouché par un enchevêtrement de radicelles et racines, la cavité de la source était pleine d’une boue assez épaisse. En la brassant avec une pelle, de grosses bulles de méthane se dégageaient, mais faute de briquet ou d’allumettes, nous n’avons pas pu, comme dans le marais poitevin, mettre le feu à l’eau.
La cavité protégeant la source est dégagée
L’eau et la vase sont retirées au seau
L’ancien dallage de pierres apparaît sous une quarantaine de centimètres de terre et de racines
Le fond du puits, profond de 80 cm, est bordé de pierres formant un cercle presque parfait. Sur la photo il reste une trentaine de centimètres d’eau au fond
Environnement de la source
Les fées du jour n’ont pas de baguette magique. Les pieds et les mains dans la boue et dans la vase la fatigue est vite là.
La soif est facile à épancher. Alain ne résiste pas ! Mais non c’était pour rire !
Petites poses pour la photo devant la fontaine. Guy, Alain et Jean-Claude tournent le dos à l’antre de la mère Lapiarde. Même pas peur !
Guy fait la pose devant l’ancien lavoir au pied de la fontaine
Pourtant trois petits après-midi ont été nécessaires pour dégager la fontaine, mettre à jour le dallage du sol et remonter une partie du mur de pierres sèches soutenant le talus. Il a fallu aussi quelques heures pour nettoyer les tenues.
Partie du mur reconstruit
Après une nuit, l’eau recouvre le dallage
C’était oublier la puissance de dame nature. Un noyer crevé et un peuplier bordent le ruisseau de la source. Les racines ont poussé les murs et soulevé le dallage entre la source et le lavoir, empêchant l’eau de s’écouler normalement. Impossible d’aller puiser de l’eau à pied sec. Il est alors décidé d’aller chercher quelques pierres plates dans le bourg (!) pour surélever le sol au ras de la fontaine.
Pierres ajoutées pour surélever le dallage originel
État de la fontaine au 12 novembre 2019 après le passage des fées à gros bras. Le réservoir est plein. L’eau s’écoule tranquillement entre les pierres du dallage pour rejoindre la fosse.
Francette Rouet-Beaufils et son mari en pèlerinage sur les lieux. Toute son enfance et une partie de sa jeunesse, Francette a participé aux navettes pour approvisionner en eau ses parents habitant la maréchalerie.
Aujourd’hui, les fées modernes sont heureuses, simplement pour le plaisir des promeneurs, même s’il manque le sentier d’accès originel… Mais c’est une autre histoire.
Jean-Claude Cardinaux