Ce petit article est un écho à l’actualité : indépendance, liberté, chars russes, réfugiés.
Nous ne parlerons pas là des chars russes en Ukraine qui veut garder son indépendance, mais des chars russes en Hongrie qui voulait se libérer du joug de l’URSS et gagner son
indépendance.
Et ces réfugiés, passés, actuels, font remonter en moi un souvenir d’enfance.
Histoire générale
À la mort de Staline le 6 mars 1953 et suite aux révélations de ses crimes, la direction du PC d'URSS encourage à plus de hardiesse les éléments réformistes et libéraux dans les
démocraties populaires laissant envisager un radoucissement des dogmes.
Suite aux revendications ouvrières polonaises qui se déroulent à Poznan le 28 juin 1956 et aux violentes émeutes qu’elles entraînent, les Soviétiques placent à la tête du pays le dirigeant
réformiste Wladyslaw Gomulka, emprisonné quelques années plus tôt sur ordre de Staline.
Le 23 octobre 1956, à l'issue d'une manifestation rassemblant plus de 10 000 personnes, les Hongrois renversent une statue de Staline. Des unités de l'armée hongroise, envoyées pour
rétablir l'ordre, fraternisent avec les manifestants. Les Hongrois réclament à la présidence du Conseil le retour d'Imre Nagy, un communiste modéré expulsé du pouvoir en avril 1955.
Les dirigeants hongrois placent donc Imre Nagy à la tête du gouvernement, mais décrètent la loi martiale et demandent l’aide des troupes soviétiques, qui stationnent autour de la capitale,
pour rétablir l'ordre. Les Soviétiques interviennent sans violence avant de se retirer de Budapest le 27 octobre.
Les Hongrois croient que l'heure de la victoire a sonné. Le pays s'enflamme. L'insurrection dégénère le 30 octobre avec, à Budapest, l'occupation du siège du parti communiste et le
massacre de ses occupants ainsi que de gardes qui n'ont rien à voir avec le régime détesté.
Un nouveau gouvernement porté par la volonté populaire et dirigé par Imre Nagy s'installe au pouvoir. Sous la pression populaire qui revendique des élections libres et le rejet du pacte de
Varsovie, Imre Nagy annonce le retour au pluralisme politique. Mais en affirmant, le 1er novembre, la neutralité de la Hongrie, il franchit une limite inacceptable pour l'URSS, soucieuse de
l'intégrité du bloc soviétique.
Dès le dimanche 4 novembre 1956, l'Armée Rouge investit Budapest. Au total pas moins de 8 divisions et plusieurs centaines de chars russes du dernier modèle.
Les insurgés, étudiants aussi bien que salariés, résistent avec héroïsme mais n'en sont pas moins écrasés.
Imre Nagy prononce un discours et assure rester en poste, Janos Kadar proclame le « gouvernement révolutionnaire ouvrier et paysan » et devient Premier ministre et secrétaire général
du Parti des travailleurs Hongrois le 6 novembre. Imre Nagy est arrêté le 22 novembre et sera exécuté en juin 1958 pour haute trahison.
« Les chars russes arrivent....Nouvelle fusée...Les chars russes sont là...Un grand silence tombe sur la Hongrie."
Cette révolution de 1956, nationale, démocratique et sociale fut l’objet d’une sévère répression et fit environ 20 000 morts. Elle déclencha un important flux migratoire d’environ 200 000
Hongrois. De fin octobre au 7 novembre, 15 000 Hongrois se réfugièrent en Autriche dont la frontière est la plus proche, à fin novembre ils étaient 80 000. En totalité, l’Autriche accueillit
170 822 réfugiés hongrois, mais 118 000 allaient être évacués vers de nombreux pays non communistes.
La France accueillit 8 900 réfugiés Hongrois.
Histoire locale
Décembre 1956. La France à froid. Châtellerault n’échappe pas à un hiver glacial et, au pied des piles du pont Henri IV, la Vienne est gelée.
Depuis le 28 novembre, la ville prépare l’arrivée des réfugiés hongrois.
Le samedi 1er décembre à 17 h 30, un convoi ferroviaire arrivant de Vienne (Isère) entre en gare de Châtellerault, amenant 1 020 réfugiés hongrois. On en attendait 1 200, mais 85 d’entre
eux se sont échappés entre Vienne et Châtellerault. De nombreux Châtelleraudais sont groupés dans le froid pour leur souhaiter la bienvenue, des signes de main sont échangés de part
et d’autre. Les autorités civiles et militaires et la Croix-rouge sont là également. À 18 h, les autobus de l’armée et de la STAO, ainsi que des ambulances, attendent dans la cour de la Petite
Vitesse de la gare.
Les réfugiés, peu chargés de bagages, n’ayant pu emporter que quelques objets à la hâte, montent dans les autobus.
Les blessés sont embarqués dans les ambulances. La Croix-Rouge distribue du lait pour les bébés.
La caserne de Laâge, vide et occupée alors de seulement un officier, d’un sous-officier et de 10 hommes, est le lieu d’accueil des réfugiés hongrois.
En 48 heures les hommes du 33e RA ont aménagé les locaux en installant 1 200 lits, des appareils de chauffage, un réfectoire, une cuisine équipée, des sanitaires, une infirmerie.
Ces réfugiés, hommes, femmes et enfants ont tout abandonné, tout perdu pour fuir les chars russes.
Ils arrivent dans un pays inconnu, confrontés à un langage qu’ils ne comprennent pas, logés dans des locaux rétablis rapidement pour les loger.
En urgence, 150 personnes sont réparties dans d’anciens locaux de colonies de vacance, plus tard 450 gagneront Lencloître et Chambon.
Par mesure sanitaire ils ne peuvent quitter la caserne avant le jeudi suivant leur arrivée. À l’occasion d’une sortie, un Hongrois, désespéré, se jette du pont dans la rivière gelée.
Le reclassement professionnel est étudié et l’identification de chaque arrivant vérifiée. Ils sont majoritairement des intellectuels, il y a peu de ruraux.
On essaiera de fournir des emplois à certains, mais la situation économique de la ville n’est pas favorable. Il faudrait aussi loger les travailleurs, mais le manque de logements bloque le
projet.
J’habitais à cette époque à une centaine de mètres de la caserne et je me souviens des femmes, oui, des femmes surtout, et des enfants groupés derrière la grande grille, regardant,
désespérés, à travers les barreaux.
Ces femmes, peu couvertes, étaient transies, les enfants se réfugiaient contre leur mère pour trouver un semblant de chaleur. Qu’espéraient-elles ces femmes à rester ainsi dans le froid ?
Ma mère avait une veste verte en lainage. J’aimais beaucoup cette veste, d’un vert moyen, doublée d’un tissu soyeux. Elle avait un col droit, comme souvent pour accompagner les
emmanchures raglan et de gros boutons recouverts de tissu. C’est ma tante, couturière qui l’avait taillée et cousue. J’aimais vraiment beaucoup cette veste. Ma mère ne la portait plus,
il fut donc décidé de la donner à ceux qui en avaient besoin. Je fus chargée de cette mission et, la veste pliée sur mes bras tendus, j’avançai sur le trottoir vers la grille de la caserne où
étaient toujours amassées les femmes réfrigérées. Plus j’approchais et plus mon cœur battait devant cette situation étrange, inconnue pour moi. Arrivée à la grille, je tendis la veste verte.
Une main la saisit, je ne sais pas à qui elle appartenait, je ne me souviens plus du visage, seulement de cette main avide. Je fis demi-tour, le cœur battant très fort, me retenant de courir,
mais du haut de mes 10 ans, je savais que j’avais fait quelque chose de bien et j’en étais heureuse.
Je repense souvent à la veste verte… Qu’est-elle devenue, a-t-elle réchauffé un corps, une âme ? J’aurais aimé savoir qui l’avait reçue en cadeau et ce qu’était devenue cette femme dans
ce malheur hongrois.
Et aujourd’hui, je me dis qu’il faudrait beaucoup de vestes vertes pour épancher le malheur de tous les réfugiés.
Les Hongrois quittent rapidement la région : dans la caserne, ils ne sont plus que 494 après six semaines et 60 après six mois. Les derniers partent en juillet 1957. Seuls trois réfugiés
hongrois décident de rester et font souche.
Après leur départ, la caserne de Laâge sera inoccupée jusqu’en 1958. Elle voit alors arriver le premier contingent d’élèves gendarmes qui, avant de faire leur apprentissage militaire,
remettent en état les logements précédemment occupés par les réfugiés hongrois.
Ont-ils retrouvé la veste verte ?
Françoise Glain
Source histoire générale
https://www.herodote.net/23_octobre_1956-evenement-19561023.php
file:///C:/Users/Fran%C3%A7oise/Downloads/laccueil-des-exiles-hongrois-en-france-apres-les-evenements-de-1956-3.pdf
https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1957_num_12_2_5505
Source histoire locale
Archives coll. J. N. Lattwein et B. Poignand.
Souvenirs de l’auteure.