Toutes les rencontres faites à la ferme acadienne lors des visites commentées nous apportent chacune une heure et demie d’un réel plaisir. Des contacts se nouent, les intérêts sont
ressentis différemment, mais l’histoire souvent inconnue émeut et fait réfléchir.
Celle du 26 août nous a permis d’échanger pendant trois heures avec Etienne Haché, Acadien, philosophe et professeur de Lettres / Philosophie en Alberta.
Etienne est un descendant de la famille Haché, déportée d’Acadie par les Anglais vers la France lors du Grand Dérangement et ensuite accueillie dans le Poitou sur la Ligne acadienne à
Archigny.
Ses ancêtres acadiens sur la ligne étaient :
-
Jean-Charles Benoit et Anne-Marie Haché et leurs 4 enfants. La ferme 37 leur avait été attribuée. Ils partirent ensuite d’Archigny à Nantes pour la Louisiane.
-
Jacques Haché et Anne Boudrot. Ils eurent 12 enfants dont 10 moururent en bas-âge. La ferme 51 leur avait été attribuée. Anne Boudrot devenue veuve tôt, s’embarqua à
-
Nantes, avec ses 2 filles vivantes, pour la Louisiane.
La visite d’ Etienne Haché a été riche en échange d’idées et d’informations d’un côté et de l’autre mais aussi pleine d’émotion et d’humilité.
Il a en commun avec Jean-Claude Cardinaux, la famille acadienne Boudrot… « Au revoir cousin ! » a dit Etienne. Il reviendra… nous l’attendons !
Cet homme, dont j’ai vu les yeux s’embuer lors de nos échanges sur son histoire en partie méconnue, est correspondant pour un journal en Alberta et a rédigé un article suite à sa visite.
Nous vous le proposons, il est à l’image de son auteur que nous remercions vivement.
Françoise GLAIN
ARCHIGNY, LA OU DES MAISONS ALIGNEES PARLENT ENCORE DE L’ACADIE
Il y a des lieux dont on ne mesure pas toujours la force avant d’y avoir posé les pieds. Archigny, un petit village français du département de la Vienne, dans la région Nouvelle-Aquitaine,
ne figure pas dans les grands guides touristiques. Faut-il s’en réjouir ou le regretter ?
En tout cas, en ce mardi de la toute fin du mois d’août, vers 14h, le calme régnait. Il faisait encore beau et chaud .Le soleil enveloppait les murs de la commune d’une douceur presque
irréelle. Rien à première vue ne laissait présager la violence de l’histoire qui s’était jouée à Archigny au 18e siècle et que je m’apprêtais à découvrir. Je sentais que j’avançais doucement,
presque sur la pointe des pieds, un peu comme si je craignais de porter atteinte à quelque chose de sacré. Et pour cause. C’est bien là, sur ce territoire paisible, dans le grand
Châtellerault, à quelques minutes de Bonneuil-Matours, au beau milieu des champs vallonnés et des routes étroites, que bat encore une mémoire, celle de mes ancêtres. C’est là que, par
un pur hasard qui n’en était pas un, le 26 août, j’ai aussi trouvé une forme d’apaisement que je ne cherchais même plus.
Sur invitation d’un couple d’amis poitevins, j’étais simplement venu voir, comprendre, découvrir, marcher sur les traces des déracinés acadiens. J’en suis reparti avec le sentiment profond
d’avoir réappris à écouter et à aimer.
LA LIGNE…
C’est sans doute l’effet produit sur moi de ce qu’on appelle la Ligne : une suite de maisons inspirées de la construction normande, à base d’argile et de brande (bousilli), construites au 18e
siècle (1773) sur l’initiative du noble Nicolas de Pérusse des Cars, pour accueillir cinq cents Acadiens déportés par les Anglais depuis les îles Royale et Saint-Jean jusqu’en Bretagne (lors
du 2e Dérangement : 1758-1759).
En partie restaurées — sur 58 maisons, 39 sont encore existantes, bien que certaines ne soient plus conformes, elles portent sur leurs murs l’écho d’un exil forcé, d’une survie arrachée au
prix de tous. Déportés, ballottés, rejetés comme des parias, certains Acadiens avaient trouvé refuge dans les autres colonies françaises, et même jusqu’en Louisiane. Mais une partie
d’entre eux fut effectivement ramenée par bateau à Saint-Malo, jusqu’au retour dans ce coin tranquille du Poitou. Quand on s’y promène, on ne traverse pas seulement un hameau. On
entre tout bonnement dans une mémoire tissée de douleurs; une histoire marquée par la misère et les tourments, mais aussi par l’espérance, qualité qui semble encore dominer dans la
culture acadienne. En effet, rien ne fut facile pour mes ancêtres. Ces familles brisées durent se reconstruire sur des terres nouvelles et à travers le dur labeur de l’arrachage de la brande,
dans ce Poitou qui leur était devenu étranger depuis 1604. Beaucoup n’y survécurent pas. Ainsi, voilà pourquoi la Ligne apparaît comme l’envers d’une même cicatrice devenue mémoire
Or, en nous promenant le long de cette Ligne, nous sentons que le lieu n’appartient pas seulement au passé, mais à celles et à ceux qui l’habitent aujourd’hui, qui l’entretiennent, le
transmettent et le font vivre. C’est le cas de Françoise Glain et de Jean-Claude Cardinaux, deux habitants d’Archigny soucieux de raconter l’histoire et de protéger le patrimoine de la
commune. S’ils continuent d’accueillir les visiteurs, c’est sans doute parce qu’après tant d’années d’effort, ils refusent que l’odyssée acadienne tombe dans l’oubli. C’est aussi cela qui est
frappant. On ne peut qu’être émerveillé par leur acharnement et leur bonne volonté. Faut-il préciser que le très fort attachement de Jean-Claude à l’histoire acadienne tient en partie à ses
origines, la famille acadienne Daigle. En revanche, Françoise n’a pas d’origines acadiennes, mais cela ne l’a jamais empêchée de transmettre ses connaissances sur l’Acadie avec amour
et passion. Simples, chaleureux, généreux, Françoise et Jean-Claude nous ont ouvert les portes de la ferme acadienne. Ils nous ont longuement parlé des initiatives pour faire vivre l’esprit
acadien et surtout de leur fierté d’habiter un lieu qui porte à la fois l’exil et la résistance d’un peuple. S’ils s’attèlent à faire découvrir cet héritage, c’est aussi parce que, par-delà l’histoire
tragique du peuple acadien, réside pour toujours, dans cette commune située au fin fond du Poitou, à Archigny, la source de la dignité humaine : la résilience et la capacité à se relever
malgré les arrachements, les violences et les blessures de l’histoire.
2025…
Mais il y a autre chose que le simple devoir de mémoire que nous enseigne Archigny. Nous, touristes et visiteurs, arrivons sur place avec la lourdeur des événements quotidiens et des
colères sociales qui fracturent et démantèlent nos vies individuelles et collectives. Pour tout dire, nous ne sommes pas vraiment authentiques : nous nous attendons aussitôt à du spectacle
et à du divertissement.
Sans jamais effacer la douleur, la Ligne acadienne montre au contraire que le temps peut transformer une tragédie comme le Grand Dérangement en une mémoire féconde. C’est ce que
font les habitants d’Archigny. En perpétuant l’histoire des Acadiens, ils démontrent ainsi au reste du monde qu’il existe des manières de s’approprier le passé; sans pour autant se laisser
écraser par lui, et tout en évitant par ailleurs de verser dans le tragique ou dans le sensationnalisme... Au devoir de mémoire vient ainsi s’ajouter la foi ou l’espérance dont je parlais
précédemment; la croyance que demain sera meilleur qu’aujourd’hui.
En réalité, pour Françoise, Jean-Claude et bien d’autres amateurs d’Archigny versés depuis des années dans l’histoire acadienne, partager ce récit, c’est donner du sens à la souffrance.
C’est refuser que l’exil des Acadiens ne soit qu’une parenthèse tragique. C’est, bien au contraire, lui donner une valeur d’exemple pour nous aujourd’hui. Voilà ce qui m’a le plus ému. Dans
le regard de ces gens, il y a le souci de transcender la douleur d’un peuple afin de rechercher la signification. En observant certaines maisons — d’après un registre où figurent les maisons
d’Anne-Marie Haché (37) et de Jacques Haché (51) —, et surtout en visitant l’intérieur de la ferme acadienne, je me suis mis à imaginer qu’à l’intérieur de ces murs, il y avait eu de la vie.
Un peu comme si les habitations conservaient toujours l’écho des voix disparues. Une sorte de tristesse m’envahit aussitôt. J’essayais discrètement de me contenir, mais c’était plus fort
que moi : les rires des enfants, les pleurs liés aux deuils, les maladies, les conversations du soir après une journée harassante dans la brande, tout cela me ramenait aussi à mon histoire,
en quelque sorte. Oui, ces demeures parlent encore à quiconque veut prendre le temps de bien écouter; imaginer surtout qu’il a fallu une force insensée à mes ancêtres pour
recommencer, encore et encore, après tant d’expulsions. La prochaine fois sera la bonne : c’est aussi l’éducation que j’ai reçue de mes parents qui, eux, l’ont sans doute reçue de leurs
parents et ainsi de suite. «Ne jamais lâcher prise», «garder courage», «le temps donnera raison».
ENRACINEMENT, DÉRACINEMENT…
Je disais qu’Archigny et la Ligne acadienne m’ont rappelé l’importance d’écouter et d’aimer. Maintenant, je le sais… C’est le plus important. Ne jamais y passer trop vite, ne pas réduire un
tel lieu à une simple curiosité historique ; prendre le temps de marcher et de méditer sur la survivance de tout un peuple, se laisser imprégner par un lieu mémorable. Pour ma part, moi qui
venais chercher des traces, j’ai finalement enjambé ce pont que symbolise Archigny et qui relie mon Acadie natale à la France. De simple lieu de souffrance, Archigny est à mes yeux un
lieu d’apaisement. Rappel de l’exigence de mémoire, exemple d’espoir et de résistance, recherche du sens, la Ligne acadienne rappelle également que l’exil et l’immigration demeurent
des réalités tragiques. Leçon de vie silencieuse, la Ligne nous dit que l’accueil des déracinés, si difficile soit-il pour les pays concernés, en ces temps où les identités se heurtent, peut, au
final, aboutir à des histoires nouvelles, inattendues, positives. Jamais sans douleur, jamais sans perte, ni sans difficulté et conflits, mais toujours possibles. Est-il exagéré de penser qu’il
réside à Archigny une philosophie de l’accueil et de la compréhension mutuelle? Est-ce bien la preuve que la mémoire et la quête du sens ne sont pas un poids que l’on traîne au pied
sans trop savoir en quoi c’est utile, mais plutôt une vraie force pour l’avenir? La Ligne acadienne est le parfait exemple de la profondeur et de la solidité des racines d’un peuple qui rendent
son arrachement si douloureux et significatif.